Le trio habité par Frédéric D. Oberland (Oiseaux-Tempête), Romain Barbot (Saåad) et Paul Régimbeau (Mondkopf) a sorti l'automne dernier un 6ème album dense et sensoriel : Voltæ (Chthulucene).
Alliage émancipateur de rave anglaise, d’urgence punk et d'electronica aux échos étranges et survoltés de musique folklorique, l'effet de ce disque est aussi captivant qu'immédiat. Tel un besoin d'expérimentation absolue, cet orchestre hybride télépathe, composé de synthétiseurs analogiques et de systèmes modulaires organiquement connectés aux instruments acoustiques (baglama, soufflants, percussions, voix) a ainsi donné naissance à Voltæ, première œuvre du trio enregistrée en studio.
Pouvez-vous nous parler de l'origine de FOUDRE! ?
Romain : J'ai rencontré Frédéric via le photographe Stéphane Charpentier avec qui il travaillait sur le premier album de Oiseaux-Tempête. Le courant est assez vite passé entre nous et très vite un café s’est transformé en jam diurne dans un salon. C'est ce moment qui a donné Magnum Chaos sans que nous le préméditions. Le concert à Saint-Merri pour Earth s'est présenté peu de temps après, j'ai invité Paul à venir nous rejoindre (avec qui j'avais déjà collaboré via Saåad et qui avait sorti Verdaillon sur son label In Paradisum) puis Frédéric a invité l’ondiste Christine Ott. Un moment très épique qui a scellé l’aventure. Paul n’est jamais reparti.
Frédéric : FOUDRE! est un grand terrain de jeu permettant d’expérimenter tous azimuts, via un terreau fertile de goûts en commun. C’est un projet qui nous a souvent servi à tester de nouveaux instruments, parfois même de prétexte à se voir, vu nos géographies un peu distanciées, pour au final célébrer l'ensemble en public avec un concert en one-shot : une répétition unique puis zou, on improvise à l’âme. Beaucoup de ces tentatives se sont concrétisées par des disques live sortis dans la foulée et sold-out assez rapidement. La première époque de ce groupe si j’ose dire, jusqu’à ce nouveau disque qui marque un certain virage pour nous, s’est forgée dans les interstices temporels et créatifs de nos autres projets. De mon côté j’avais vraiment besoin d’une pause indéterminée après douze années consacrées à mon collectif Oiseaux-Tempête afin de pouvoir me concentrer sur d’autres envies qui demandaient, elles aussi, du temps et de l’énergie. A côté de projets solo et d’autres collaborations, l’envie de pousser FOUDRE! était en haut de cette liste de souhaits.
Avec déjà six opus à votre actif vous venez de sortir Voltæ (Chthulucene). Quel en à été le déclencheur qui a guidé l'écriture de cet opus ?
Romain : Difficile de parler d’écriture avec FOUDRE! tant les choses naissent sur l’instant… Cependant nous voulions vraiment reprendre là où nous nous étions arrêtés avant la pandémie. Lors de nos derniers concerts en 2019, nous avions introduit beaucoup de nouveaux éléments, dont le rythme qui avait pris une grande place et ouvert une boîte de Pandore créative. Nous avions vraiment la volonté d’aller piocher ces souvenirs de musiques et ces moments libérateurs, de créer quelque chose de plus hybride en y injectant nos identités sans filtre.
Paul : Grâce à un contact de nos amis de ZamZam, et à notre ingé son Camille Jamain, nous avons pu installer un studio nomade dans une grange au fin fond du Loir-et-Cher. Pour la première fois nous avions le luxe de rester 3 jours dans un studio pour enregistrer toutes nos improvisations et approfondir certaines idées. Nous avions la possibilité de tester de nouvelles choses avec le filet de sécurité qu’apporte le studio. À part le ciné concert à Saint Merry qui est devenu notre album EARTH, nous ne partons jamais de concepts précis. Ce sont plutôt les lieux, nos machines et nos états d'esprit qui nous guident. Nous créons le narratif une fois que les morceaux apparaissent.
Frédéric : Nous avons clairement changé de méthode avec ce disque. Le fait de nous libérer des contraintes du live, de se donner relativement du temps en studio, a de facto impliqué la possibilité d’une communication différente entre nous, comme si nous réinventions les possibles d’un nouveau premier album. Autant sur l’idée de rythmiques plus affirmées que Paul avait envie de creuser, que sur les parties mélodiques où nous pouvions, Romain et moi, tenter in situ des motifs orchestrées plus complexes. Ce nouveau disque de FOUDRE! est à la fois un agrégat de nos recherches en commun et une combinaison débridée de nos langages personnels.
Pouvez-vous nous en dire plus sur votre approche créative et sur ce que vous aimez transmettre via votre musique ?
Romain : Il y a l’idée de trance qui revient depuis le début. S’oublier. Ce que j’aime le plus avec ce projet c’est cette notion de fils tendus entre nous, l’écoute imposée par l’improvisation qui nous met dans un état un peu second par défaut. Il y a cette notion de surprise permanente et j’ose espérer que cela se transmet dans notre musique.
Paul : J’espère que notre musique sent bon la liberté.
Frédéric : Pour ma part, j’aime l’idée que chacun de nos albums se répondent, tissent les fils d’une histoire plus grande que nos inconscients improvisateurs pour raconter quelque choses de notre monde contemporain, autant qu’un album de musique puisse le faire... Après notre Future Sabbath sorti en 2021 (qui évoquait la théorie du cygne noir, des danses secrètes et de l’imagination collectivement fiévreuse pour contrecarrer la noirceur du monde), les pistes tirées de cette session d’enregistrement ont guidé nos imaginaires vers un espace-temps oniriquement utopique et politique. L’image d’Alessandro Volta, l’un des pionniers de l’électricité, nous est apparue en vision-miroir de nos synthétiseurs et systèmes modulaires en symbiose, interconnectés via des fils électriques et du voltage. La lecture de Donna Haraway et son concept de « Chthulucene » (qui donne le sous-titre à l’album) nous a aussi heureusement inspirés, au milieu d’une pile de récits de science-fiction. Dans le Chthulucene d’Haraway, il s’agit d’entrevoir de nouveaux possibles dans l’après de la dévastation écologique. C’est à la fois une référence à Lovecraft et à ses créatures des profondeurs, à une petite araignée californienne, mais aussi à l’épaisseur du temps présent. Trouver de nouveaux points d’attache dans ce vivant intégral dans lequel animaux, végétaux, humains (et pourquoi pas machines) entreraient en collision et en métamorphose.
Comment avez-vous composé cette fois-ci ?
Romain : Le fait de se retrouver en studio et d’avoir le temps de dépasser le stade purement performatif nous a permis de prendre du recul pendant les sessions. Varier les tempos, changer de gamme ou d’intention. Nous avions envie de faire un disque avec plus de dynamiques et de quitter cet aspect parfois de “tunnel ” de nos précédents disques / lives. Camille Jamain nous a pas mal guidé pour que, malgré l’exercice studio, nous ne perdions pas ce qui fait le sel de ce projet : l’improvisation, les fulgurances et les surprises. Avant chaque jam nous étions au casque sans entendre ce que préparaient les autres, simplement synchronisées sur le tempo des machines de Paul, puis lorsque nous étions tous en place dans nos mondes, Camille ouvrait les vannes. On a enregistré une énorme quantité de musiques durant ces 3 jours et ce n’est qu’ensuite que nous avons découpé des passages pour construire le disque et son narratif. Même s' il y a eu un peu d’edit et d’overdubs sur quelques morceaux, la plupart des choses présentes sur Voltæ sont des extraits de moments improvisés tels qu’ils se sont produits. Le plus gros du travail a été de ré-écouter et piocher dans ces heures de jams.
Frédéric : Déjà, c’est la première fois que l’on utilisait un instrumentarium aussi dense et varié en enregistrement : beaucoup de synthés et de boîtes à rythme certes, mais aussi des vents (chalumeau, zurna, flûtes), des voix, des percussions, un saz électrique… En se replongeant dans ces heures enregistrées et en choisissant ce qui allait constituer le disque, nous nous sommes ré-accaparés ce matériel. Il était parfois difficile à la première écoute d’identifier à l’oreille qui jouait quoi, ce qui est souvent pour nous un bon premier signe. Puis on a beaucoup condensé, parfois en ajoutant des overdubs et arrangements issus de nos home-studios respectifs : des leads de soufflants, des lignes de basse. Personnellement, c’est l’une de mes étapes favorites: sculpter la matière brute vers l'œuvre finale, où chaque élément prend sa place dans un grand tout. Jean-Charles Bastion a ensuite mixé durant plusieurs semaines les morceaux dans son Singular Studio à Paris, en faisant des allers-retours avec nous. Enfin, Camille Jamain a apposé le vernis final du mastering et nous a accompagnés jusqu’à la gravure de la laque vinyle par François Terrazzoni.
Vous avez confié la réalisation de la pochette de votre album à l'artiste Brulex. Comment est née l'idée de cette illustration ?
Romain : Cela fait longtemps que nous suivons le travail de Brulex. Ses chimères font directement écho à notre musique hybride et je crois qu’il a de suite compris où nous voulions en venir avec notre narratif. Il y avait beaucoup de points de concordance avec les réflexions qu’il mène dans son travail.
Frédéric : Contrairement à d’autres de nos projets où il y a une cohérence visuelle parfois systématique dans les artworks d’albums, FOUDRE! a toujours travaillé avec des artistes visuels très différents, associés à une sortie précise : Ho Tzu Nyen, Damien MacDonald, Fanny Béguély, Faye Formisano. Pour celui-ci on voulait de la couleur, de la fantasmagorie, une fresque foisonnante et psychédélique capable d’évoquer dans son bestiaire futuriste la vision prophétique que représentait pour nous ce disque. On a glissé à Alexandre aka Brulex un scénario bien précis, morceau par morceau, et il se l’est brillamment accaparé avec ses propres intuitions. C’était passionnant de voir ses illustrations matérialiser les concepts un peu perchés de cet album.
Vous êtes montés sur les scènes de la Station-Gare des Mines à Aubervilliers et au Recyclart de Bruxelles pour défendre vos nouveaux titres. Pouvez-vous nous parler de ce que représente l'expérience du live pour vous ?
Romain : Le live est un peu la colonne vertébrale de ce projet, et si Voltæ change un peu cet aspect là, FOUDRE! est avant tout un projet qui produit dans l’instant. Il y a toujours une part d’imprévu, de confiance aveugle, qui rend ces moments très forts.
Frédéric : Il y a une dimension très forte de rituel au sein des concerts de FOUDRE!, où nous convions le public à une sorte de grande cérémonie païenne. L’aspect plus dansant de nos récents concerts y ajoute une touche assez physique pour nous aussi en tant que performeurs, aux manettes d’un vaisseau sonique dont on ne sait pas toujours quelle forme prendra le voyage. Très hâte de la prochaine tournée printanière que nous allons annoncer bientôt, avec quelques festivals en Europe dans le lot.
Quel serait le lieu où vous rêveriez de jouer ?
Romain : Pompéi.
Paul : L'Amphithéâtre de Red Rocks Park à Denver, Colorado.
Frédéric : Les ruines antiques de Baalbek au Liban.
Héliopolis — cette cité du soleil au pied du Mont Anti-Liban devait s’étendre jusqu’aux rives de la Méditerranée.
Les vestiges d’Angkor dans la jungle du Cambodge.
Un planétarium pour composer la bande son en direct d’une pluie d’astéroïdes et d’étoiles filantes.
Stéphane Perraux
VOLTÆ (CHTHULUCENE) NAHAL Recordings & ZamZamRec / octobre 2024
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