Duo de choc(s)
Le 21 octobre 2021 est sorti le second album du duo Johanna Wedin et Jean Felzine, intitulé sobrement Jo&Jean, chez le label At(h)ome, avec Maxime Daoud à la basse et Cyprien Jacquet à la batterie. Cet EP de 10 titres n’a de sobre que son titre car dans ce couple chacun s’affirme et magnétise la platine. Entre la divine soul singer suédoise, française de coeur et le rockeur Jean, front of de Mustang, bien connu pour son franc-parler et son air bougon, les étincelles fusent. Les rapports hommes-femmes (et bien sûr les leurs!) en constituent la matière. Qu’ils se balancent des horreurs ou échangent des douceurs, l’alchimie fonctionne. Leurs deux voix se répondent et se mêlent aux mélodies de la variété des années 70, au disco lumineux de « Jamais envie de » ou « Quand le Mal vous quitte », en passant par la soul de l’imprononçable « Jag Vill Inte Höra », et du satirique « Femme de l’année » ou encore « Still my Man ». Sans oublier le groove et la pop. Et même une audacieuse et réussie reprise de Kraftwerk « Sexe Objet ».
Cet album est un bonbon sucré, un concentré d’énergie et un sacré voyage mélodique. Comme pourrait le dire Jean, il est sacrément bien foutu, sans fioriture ni concession. Ils ne sont pas là pour faire dans la dentelle même si la composition est hyper soignée. Voici donc ma rencontre hivernale avec Jo et Jean, un sacré duo.
Dès la première écoute, j’ai été prise d’une envie frénétique de me lever, de danser et de chanter. Quel est donc le secret de fabrication de votre album ?
Jean Felzine : Les deux premières chansons de l’album, « Jag Vill Inte Höra » et « Jamais envie de » étaient déjà jouées sur scène lors de la tournée du précédent album. Elles ont donc été faites aussi par la nécessité d’avoir des morceaux qui remuent un peu en concert.
Et il me semble que vous avez plongé dans de multiples styles musicaux !
Jo Wedin : Oui, on voulait quelque chose de plus funky avec des rythmes pas forcément dansant « dance floor » mais que l’on puisse faire comme ça (elle se met à claquer des doigts). Ça fait longtemps qu’on aime ça, c’est juste que l’on n’avait pas l’occasion de le faire avant.
Jean : Ça tient aussi à la façon dont a été enregistré cet album. Sur le précédent on avait enregistré la batterie en dernier, puis la basse, tout en « recorded ». Alors que là, on a davantage fait jouer le bassiste et le batteur ensemble. Et comme on avait des ambitions de groove, ça fonctionne mieux, c’est plus naturel.
Jo : Et surtout, on l’a très vite fait : en 4 jours de studio ! J’avais un peu peur. Mais c’est sûrement la meilleure chose de faire un enregistrement live en studio, si on a de bons musiciens à dispo, bien sûr.
Avez-vous la nostalgie d’un âge d’or musical ?
Jean : Oui et non.
Jo : Disons qu’il y a plusieurs âges d’or musicaux.
Jean : Oui, mais toi tu écoutes beaucoup de musique contemporaine. Disons qu’il y a des choses irremplaçables qui se perdent dans la façon de concevoir des pop songs aujourd’hui. Par exemple des constructions harmoniques, mélodiques comme celles de l’âge d’or de la pop des années 60-70. Aujourd’hui les chansons sont tout de même plus basiques à ce niveau-là.
Jo : En tout cas les chansons mainstream.
Jean : Le mieux est d’avoir le meilleur des deux. S’intéresser à ce que l’on fait aujourd’hui avec les outils modernes et ne pas jeter bébé avec l’eau du bain.
Johanna, je te sens plus nostalgique que Jean.
Jo : Pas vraiment. C’est surtout que je suis très partagée. J’ai beaucoup d’âges d’or en moi. Je suis plus 70’ mais ce sont surtout les années 90 que j’adore avec tout ce qui est soul, R’n’B. Aujourd’hui tout ce qui est moderne sonne finalement comme en 90. Peut être moins en France car ici c’est vraiment le rap qui domine, mais j’écoute peu de musique française.
Chacun chante de son côté en solo. Et aussi en groupe avec Mustang pour toi, Jean. Pourquoi avoir décidé un jour de vous réunir en duo ? N’est-ce pas dangereux pour la bonne santé du couple ?
Jean : Si si, je confirme. Pour l’histoire, Johanna cherchait des chansons en français pour chanter en solo. On s’est rencontré. Je me suis mis à l’accompagner sur scène. Puis on s’est dit qu’on allait faire un duo.
Jo : C’est surtout notre entourage qui a dit « Quel duo !Il faut absolument creuser cette voie ! ». Et voilà. Mais ce n’est pas très facile effectivement.
C’est comme dans tout, lorsqu’un couple travaille ensemble.
Jean : Oui, je pense que c’est pareil pour les gens qui ont un restaurant, une boutique. Parfois ça marche et surtout ça fait des choses qu’on ne ferait pas seul(e).
Ce peut être aussi un vivier de création infini.
Jean : Surtout, il ne faut pas avoir peur de mettre en scène les problèmes dans les chansons. C’est ça qui est intéressant.
Quel est, selon toi, le rapport (si il y en a un) entre Mustang et votre duo ? Une continuité ? Une influence mutuelle ? Une rupture ?
Jean : Rupture peut-être pas. Je ne suis pas capable non plus de passer totalement d’un style à un autre. Mais ce n’est quand même pas la même musique ; avec Johanna on n’a jamais voulu faire du rock.
Jo : Certains morceaux sont plus mon style, d’autres plus le tien.
Jean : Ce n’est pas la même musique, ni la même intention de base qui est celle de porter la voix, d’avoir un maximum d’expressivité vocale avec Johanna. Avec Mustang, il y a ça aussi mais surtout une recherche d’énergie.
Jo : Ce ne sont pas les mêmes harmonies et ta manière de t’imposer est très différente ....
Jean : Hé ! Tu ne vas pas me womansplaining ma réponse !
Jo : Pardon.
Jean : Il y a peut être des chansons pour Mustang que je n’aurais jamais écrites si je n’avais pas appris en faisant celles avec Johanna.
Certains thèmes sont communs à Mustang et au duo, par exemple celui de la libido en berne : dans « Pôle emploi/Gueule de bois » (Mustang) et « Jamais envie de ». Non ?
Jean : Oui, en plus je me suis demandé où j’allais placer celle-ci. C’est au dernier moment que c’est devenue une chanson pour Mustang.
Jo : Elle n’aurait pas pu être pour nous ! Jean : Non, mais dans la forme musicale, elle a un truc plus pop. Jo : Mais le texte, c’est très toi (rires).
Qu’apporte l’un(e) à l’autre à ce duo ? Avez-vous des désaccords ?
Jo : Jean apporte de l’honnêteté dans les textes. J’aime les sujets de la soul music tels que l’amour triste, l’infidélité, les relations... Cela vient de mon influence scandinave et anglo- saxonne. Je trouve que la mélodie est plus importante que le texte. Grâce à lui je vais donc plus loin dans les histoires que je compose.
Jean : Johanna a une aisance et une audace mélodique. Mais je récuse ce que tu dis : je ne mets pas les textes avant la musique, c’est fifty-fifty. Elle apporte aussi quelque chose qui ne m’intéresse pas du tout : la séduction dans la musique. Je préfère toujours la vérité à cela. Mais je le respecte. C’est bien de faire rêver avec de la musique. Mais pour moi, plus c’est vrai, plus ça m’excite.
Je connaissais le franc-parler de Jean avec Mustang et je constate avec une certaine satisfaction, qu’il n’en a pas le monopole. Johanna, est-ce simple d’être si sensuelle, si glamour et aussi crue et directe ?
Jo : Les années passent et je garde cette envie de séduire le public. Mais le fait qu’il y ait Jean me pousse, m’aide à aller plus loin.
Jean : Je te pousse surtout à être davantage comme tu es dans la vie. Dans la vie, tu peux être très crue et violente dans tes paroles. Il faudrait être pareille dans tes chansons.
Jo : Effectivement, être plus honnête avec moi-même, avec ce que je pense et dis.
Jean : C’est aussi un truc lié à la musique que l’on aime et que l’on fait. La séduction mêlée à des textes qui parlent vrai. Mais ce n’est pas facile effectivement d’avoir du lyrisme vocal en disant des vacheries. Ça ne fonctionne pas tout le temps. Mais quand ça le fait, comme sur « J’ai gâché ta vie », il y a comme une réaction chimique ou électromagnétique qui est intéressante.
La chanson « Jamais envie de » est accompagnée d’un clip qui est une véritable orgie musicale. L’envie, le plaisir, l’érotisme sont-ils pour vous essentiels ?
Jean : Oh oui ! Et puis, en tant que couple, si on ne fait pas de chanson sur le cul, on passe à côté. Y’a un truc de l’ordre de l’érotisme pour moi qui se passe lorsqu’on chante ensemble sur scène. C’est dans le mélange de nos deux voix. D’ailleurs, en studio, on dit « les voix, elles baisent bien » ou bien « les deux guitares, elles baisent bien ». Il y a clairement de ça.
Jo : En général, le concept de faire de la musique en couple, même si c’est souvent difficile, c’est d’obtenir du plaisir.
Jean : Et puis c’est un lieu commun. C’est une histoire de sublimation, même dans ce qui est le plus glauque.
Dans les duos-couples du passé, on pense forcément à celui de Gainsbourg et Birkin . J’ai cru cependant comprendre que c’était pour vous un contre-exemple. Pourquoi ?
Jean : Car chez eux, il n’y a pas de création ensemble alors que c’est le contraire pour nous. Gainsbourg était tellement obsédé par Lolita, par la figure du Pygmalion et tout ça, que c’est tout autre chose. Elli et Jacno ont travaillé ensemble, elle aux textes et lui à la musique. Chez les Rita Mitsouko, il semble aussi qu’il y avait une émulation entre eux. De toute façon, je suis d’avis de laisser dormir Gainsbourg 20 ans, qu’on n’en parle plus – ou qu’il soit redécouvert autrement. Pour moi, c’est tout sauf un génie, c’est surtout le type le plus habile du monde !
La première chanson « Jag vill inte höra » (Je ne veux plus entendre) doit elle être perçue comme un manifeste féministe ou comme une simple sérénade ?
Jo : Jean fait la sérénade et moi je suis la féministe.
La culture féministe est d’ailleurs bien ancrée en Suède.
Jo : Oui mais j’ai un peu oublié car ça fait longtemps que je suis en France. Mais ça était de suite différent entre la Suède et ici.
Jean : Moi, j’ai un droit de réponse dans cette chanson. Et je ne suis pas féministe. Ce qui est intéressant est de mettre mon point de vue, exagéré ou pas.
Jo : Complètement.
Jean : Beaucoup aimeraient une chanson unilatérale – où il y aurait du Mona Chollet en permanence. Ce serait cauchemardesque !
Jo : Oui, mais il y a des gens qui le font.
Jean : Oui, mais c’est de la merde. L’intérêt, c’est qu’il y ait friction dans les chansons, que je puisse dire ce que je pense.
Jo : Oui, mais il y a aussi un ras-le-bol. Je ne dis pas qu’il faut renvoyer la haine sur les hommes. Mais des choses doivent changer et changent. Je me fais moins emmerder et plus respectée dans le monde de la musique. Les mecs plus jeunes ne font plus les mêmes blagues à la con dès qu’il y a une femme dans la pièce. Contrairement à certains, plus vieux.
Jean (sourire) : Tu voudrais que la jeune génération ne se sente plus jamais troublée en présence d’une femme ?
Jo : Non, ce n’est pas ça. Je veux juste être respectée. Je peux être troublée par un homme, ce qui ne veut pas dire que je vais lui sortir des blagues sexistes, dégueulasses.
Jean : Moi, ce que je n’aime pas, ce sont les clichés. Les gens qui répètent des éléments de langage comme des perroquets. Le truc des Sorcières de Mona Chollet est aussi con que celui du mâle alpha.
Jo : Il y a plein de féministes qui détestent ces livres.
Jean : Quand je vois des gamines lire ça dans le métro, j’ai envie de me foutre de leur gueule. Comme j’ai envie de me foutre de la gueule des mecs qui lisent Le premier sexe de Zemmour.
Jo : Je comprends mais encore une fois tu ne veux pas entendre ce que je dis.
On pourrait en parler encore longtemps. Dans le titre « Sexe objet », la reprise de « Sex Objekt » de Kraftwerk, l’homme a le droit de réponse. Non ?
Jean : Oui. Déjà j’adore Kraftwerk. Cette chanson est marrante parce-que dans l’originale c’est le mec qui dit qu’il est un sexe objet. On en a fait un dialogue qui résonne bien avec le reste du disque.
Pour finir en beauté – tout dépendra de la réponse de Jean (clin d’oeil) – Johanna est- elle ta muse ?
Jean : Non ! Pas du tout ! C’est une posture qui ne m’intéresse pas, qui est anachronique. Je vais peut être passer pour un gros macho dans cet itw. Au contraire, je suis pour que les femmes s’expriment et écrivent (si ce qu’elles ont à dire est intéressant). Je ne veux pas du tout façonner Johanna.
Jo : De toute manière, il ne le pourrait pas.
Jean : Je n’ai pas du tout ce fantasme-là. L’idée dès le départ était d’essayer de faire ensemble les meilleures chansons possibles. De plus, à titre personnel, j’ai plutôt grandi avec des femmes fortes donc ça ne m’a jamais fait peur. Prendre une femme comme une patte à modeler, c’est pas un truc qui m’excite, ni sexuellement, ni artistiquement.
Jo : Je pense que Jean est comme moi, je ne pourrai pas le façonner.
Jean : Ce serait intéressant d’ailleurs de voir un duo avec un chanteur mec au 1er plan et la nana derrière qui fait tout, qui lui met les mots dans la bouche. Le filon inverse me paraît épuisé. Même si ça existe toujours. Les gens ont cru au début que je faisais tout et que Johanna était juste devant le micro. Mais ce n’est pas ainsi que ça se passe.
Jo : On a été obligé, du coup, de rectifier cette image -là. Jean : Mais j’ai l’impression qu’ils comprennent mieux avec ce disque.
Christine Fleuriau
Jo&Jean
(At(h)ome) // 2021.
Vous pourrez les retrouver en concert dès le 17 février lors de la tournée Mégaphone Tour, en passant par Paris (Le Consulat) le 23/02, Rennes (l’Antre 2) le 25/02 ... Et en full band le 1er juin au Café de la Danse à Paris.
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