Ces derniers mois, il est question de la réédition d’un album publié en 1996 par un groupe de Toulouse, Diabologum : #3. Cette même année 1996 sortaient trois autres disques majeurs du rock français célébrant les guitares (électriques), tous réalisés par des groupes venant de villes de province : le 666.667 club de Noir Désir (Bordeaux), Radiant, Crossed Off, Discharged de Bästard (Lyon) et Strike des Thugs (Angers). Ce dernier, enregistré aux Etats-Unis par Steve Albini fut écouté en boucle à sa sortie par deux angevins, les frères Camille et Etienne Belin, alors en pleine adolescence, et qui fonderaient quelques temps plus tard le groupe Daria, au grand dam de leurs parents. Juste avant, les Thugs liquideraient leur groupe en publiant un dernier album au titre explicite : Tout Doit Disparaître (1999). Les Thugs étaient aussi une affaire de famille, qui comportait trois frères, les Sourice. Deux parmi eux souhaitaient continuer à œuvrer dans la musique, le chanteur-guitariste Eric et le bassiste Pierre-Yves. Ils tentèrent une expérience moins bruitiste, Jive Puzzle, qui se fendit d’un unique album en 2004, Where Is Love, incluant quelques pépites (Organe, Elle pleure), mais ne parvint pas à trouver ses marques sur scène. Puis le temps passa. Daria sortit quatre albums de rock puissant, dont le très bon Impossible Colours, qui fut enregistré lui aussi aux Etats-Unis et distribué par Dischord Records, le label créé par Fugazi, une référence dans le rock indépendant. Pendant ce temps-là, le fils de Pierre-Yves grandissait et apprenait à jouer de la guitare. Une fois la vingtaine arrivée, il composa mêmes quelques morceaux avec son père. Comme ils connaissaient les frères Belin, voisins d’Angers, père et fils Sourice leur firent écouter les chansons et ils se retrouvèrent à jouer tous les quatre ensemble. Camille Belin, chanteur guitariste chez Daria, prit la batterie et Etienne Belin conserva sa guitare. Il manquait un chanteur. Pierre-Yves contacta naturellement Eric, son frère, qui n’attendait que ça – il avait même un nom de groupe pour la première occasion qui se présenterait : LANE pour Love And Noise Experiment. De l’avis général, le nom est approprié à leur musique, qui comporte un côté bruitiste et un autre plus mélodique. Déjà à l’époque, la force des Thugs était de proposer un tel alliage de guitares fortes et saturées, et une voix mélodique, celle d’Eric Sourice (il n’y a qu’à réécouter And They Kept On Whistling sur IABF, ou Waiting sur Strike pour s’en convaincre). Chez LANE, donc, même principe, avec toutefois une voix plus en avant et un chant plus assuré. On se surprend même à penser à Ian Curtis, le chanteur de Joy Division, sur le titre Electric Thrills. Lorsqu’on se penche sur les textes, on retrouve quelques thèmes chers aux Thugs (« On est tous perdus / We’re all lost »), mais en plus lumineux (« dans les rayons solaires / in solar rays»). L’autre nouveauté est à chercher dans le son général, moins brut que celui des Thugs, et moins « musclé » que celui de Daria, surtout au niveau de la voix et de la basse. L’album, très bien mixé, a un son compact, efficace et moderne. Il se termine sur un morceau aux accents lyriques et au tempo plus lent que les autres, Pictures of the century. Et comme il ne suffit plus de jouer de la musique pour vendre des disques, on notera les très belles photos inclues dans la pochette. Des photos de métro, de paysages et d’éoliennes prises par Pierre-Yves Sourice pour un disque à écouter sur l’autoroute en revenant de vacances.
Matthieu Davette
LANE
Pictures of a Century
(Vicious Circle / L’autre Distribution / Idol) // 2020.
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