Le Générateur, à Gentilly, à deux pas d’un tram, est un lieu d’art et de performance. Ancien grand cinéma de quartier appelé jusqu’en 1970 « Le Gaité Palace », c’est devenu une association à but non lucratif reconnue d’utilité publique. Depuis 2006, le Générateur est un lieu indépendant, créé et géré par des artistes. Il est partenaire de plusieurs festivals, comme le festival Sonic Protest, qui m’amène ici pour la troisième fois, après une mémorable étape danoise avec les Damien Dubrovnik.
Les irréductibles franciliens ont décidé d’aménager autrement l’espace intérieur immense du hangar, qu’à l’accoutumée, construisant une vraie scène en hauteur en fond de salle, ce qui leur permet de pouvoir utiliser le même plateau pour tous les artistes qui se produisent sur scène.
Rump State ©Robin Ono
Ce sont les américains de Rump State (Mark Morgan, Gaute Granli, Pat Murano) qui ouvrent le bal, la musique jouée par le trio est entrainante mais plutôt fouillis. Harmonies chantées aux micros multiples, entrecoupées de bidouilles et de larsens à la guitare, rehaussées de blasts. C’est peut-être dommage que les parties chantées soient audibles, mais pas compréhensibles pour le commun des mortels.
Mais comme cela, la couleur noise de la soirée est fièrement brandie, et ce ne sont pas les girls berlinoises de Cuntroaches qui vont me faire démentir, avec un long show punk tout en puissance et en excentricités, qui n’appelle qu’à la reddition extatique d’un public abasourdi, et se conclut par un déversement d’ordures de deux sacs poubelles dans la fosse, dans l’air du temps parisien, mais je plains les nettoyeurs. Remarquez, c’est peut être une astuce pour que l’on se croie en plein air, qui sait.
Avec des shows aussi chauds en intensité, avec une foule semi-compacte, les étapes de rafraichissement ne sont pas de trop pour réussir à continuer cette soirée affolant les curseurs.
Je ferai l’impasse sur Leila Bordreuil, parce qu’autant sur le papier ça m’intriguait, autant à son entame, ça a réveillé mes acouphènes.
Venons-en au clou de la performance, la release des Sister Iodine pour le nouvel album Hollozone tout récemment paru chez les égyptiens de Nashazphone. C’est une véritable « à peau cas lipse » qui se prépare. Avant de chanter, Erik Minkkinen se prend la tête dans les mains, comme s’il cherchait à retenir ce qui allait déborder, puis se tient à gauche devant une forteresse Fender, tournant le dos au public, sauf quand il se met de profil pour éructer un chant hurlé. Côté droit, Lionel Fernandez oscille autour de son ampli Marshall, le bras en écharpe qui ne tient pas, avec toutes les secousses qu’il inflige à sa gratte, et à son corps contorsionné. Les fûts sont martelés par le gladiateur Nico Mazet, batteur métronome. On dirait qu’il bat le houblon sur l’enclume, et maintient un tempo. A les observer ainsi tous trois, à travers un grand espace, me vient une théorie sur leur jeu de scène qui va éclairer leur démarche sonique. Décharnés, désarticulés, les morceaux donnent toute leur colonne vertébrale à la texture, à la matière son, qui vibre à nos sensations, et inscrit celle-ci dans le temps. Animal blessé à manche oscillant, le corps cramponné à l’instrument crée une dramaturgie sur scène et nous rejoue le mythe des chimères. Apparemment c’est ce que demande la foule de fans, puisqu’elle réagit en meute hululant à l’entracte. Un peu auparavant, Erik me confiait que les Sister ne jouent jamais l’album qui vient de sortir mais celui à venir (comme Animal Collective). Puisque la température du pays est à la révolution, en proposant ce plateau le Générateur nous a livré la bande-son d’un film à inventer qui pourrait s’appeler « Après l’effondrement, le déchainement de l’orage ! ».
Stan Degré
Comentários