Ce matin le brouillard hivernal restreint mon champ de vision à quatre tours de trente étages parfaitement alignées, trouant de manière insolite le blanc du ciel. Il fait un froid glacial et l’encadrement de ma fenêtre me fait penser à cette pochette de Folklore, le flamboyant album qui m’a permis de découvrir Matthew Edwards il y a tout juste sept ans, alors qu’il revenait à Birmingham s’occuper de sa mère après vingt ans passés aux USA.
C’est la fin du Black Friday, le moment (pas vraiment) choisi par ce songwriter aussi discret que sincère pour sortir son quatrième album et en finir avec le silence et l’adversité qui l’ont accompagné depuis le début du COVID, autant dire une éternité. Hark est un disque court aux chansons longues, qui font la part belle aux plages musicales, comme si la rudesse des propos chargés d’une émotion d’autant plus forte qu’elle transpire le vécu, avait besoin de laisser respirer à la fois le chanteur et l’auditeur. On retrouve ce sens de la mélodie entêtante caractéristique de Matthew dès le délicat Evergreen, ses entrelacs de guitare acoustique enveloppés de flûtes, échangeant tantôt avec un violoncelle, tantôt avec un clavier pour mieux faire passer la pilule d’une histoire terminée, d’une femme voilée, d’un cœur brisé, d’une vie écoulée…
Et puis après les questionnements existentiels de Fireworks, ( y aura-t-il encore des feux d’artifice quand nous partirons, comme on en tirait quand nous étions petits et que tout ce qui nous animait alors était la volonté de vivre ) il change de registre . On aurait un vinyle entre les mains, on dirait qu’on change de face ! Une guitare électrique carillonnante sur une rythmique pop, tranchant avec la veine plutôt folk et mélancolique explorée jusque-là, fait ressurgir le fantôme des Smiths. The old son enclenche ainsi la vitesse supérieure et nous emporte dans une drôle de nébuleuse psychédélique servie par un kaléidoscope de sonorités tantôt soyeuses, tantôt caverneuses, magistralement mises en scène par John Rivers (qui a produit entre autres, Felt, the Jazz Butcher, the Swell Maps, Eyeless in Gaza…) La suite de l’album continue sur cette lancée dynamique, comptant sur le pouvoir de l’électricité alliée aux percussions et aux voix féminines pour combattre l’amertume de souvenirs que l’on devine encore douloureux, jusqu’à arriver au bout de la route, au bout des regrets face à la mer, dans la ville de tous les possibles : Los Angeles.
La nuit est maintenant retombée et je jette un dernier coup d’oeil à la pochette dont je comprends mieux le choix : une paire de phares déchire le brouillard sur une petite route de campagne où on attendait depuis des heures, (des jours, des mois, des années ? ) que quelque chose se passe, que quelqu’un arrive à la rescousse. Ce quelqu’un c’est peut-être vous, si je vous ai convaincu (e) que Hark est l’un des disques les plus attachants parus en cette fin d’année…
Cathimini
Hark de Matthew Edwards (Last Tape Recording/Gare du Nord) 2024
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