©Pascal Chicaud
Dans le milieu du rock indé, on peut dire qu’ici en France, l’australien Nathan Roche est aussi connu que ses confrères Angus Young (AC/DC), Michael Hutchence (INXS), Nick Cave, Kylie Minogue, Robert Foster (The Go-Betweens) et Chris Bailey (The Saints), car depuis 2014, il est très présent avec ses nombreuses publications sous divers projets : Le Villejuif Underground, C.I.A Debutante, en solo et surtout pour ses concerts intenses, en contact direct avec le public. Après avoir vécu quelques années à Paris, en témoignage le morceau Brocante à Belleville, Nathan Roche est parti rejoindre sa femme dans les Bouches du Rhône. La pochette avec l’Arc de Triomphe et les palmiers à Marseille résume ce voyage de 3h30 en TGV. Pendant l’été 2020, entre Marseille et Aubagne il a enregistré avec Guillaume Rottier (Rendez-Vous, Quetzal Snakes) l’album Drink Up, Rainforest Sinatra, publié en 2021 sur le label parisien Gone With The Weed (label qui accueille aussi l’excellent duo A Trois sur la Plage). Cet album a permis de mieux découvrir le talent de compositeur, -et pas seulement de « bête de scène » emporté par la foule sur la plus haute marche du podium- de Nathan Roche. Car en solo, Nathan Roche n’hésite pas à envelopper la musique rock avec des belles mélodies, des arrangements chiadés. Il n’y a que sa voix au phrasé nonchalant qui garde le lien avec Le Villejuif Underground. Son nouvel album, A Break Away ! sorti le 18 novembre dernier sur Born Bad Records, confirme son talent de compositeur. Nathan Roche nous concocte ainsi des morceaux qui associent avec style, classic rock, lo-fi, pop et art rock.
Pourquoi as-tu quitté la petite ville de Townsville en Australie pour venir à Paris en 2014 ?
Eh bien, c'est plutôt Paris qui m'a choisi ! J'ai été adopté comme un chaton errant. Je voulais vivre en Europe avant d'avoir 25 ans, c'était juste un rêve stupide pour moi et ça s'est passé un an plus tôt quand j'avais 24 ans. Le plan était de vivre à Barcelone, mais je n'ai pas trouvé d'amis là-bas, seulement des escrocs, du bon haschich et de la paella. Des opportunités ont continué à se présenter naturellement à Paris qui m'ont permis de rester et de continuer cette vie folle et magique d'absurdité et d'émerveillement. Je suis très reconnaissant d'être ici pour continuer mon existence de rêve qui n'a souvent aucun sens, chaque jour semble être une sorte d'aventure étrange.
Dans le milieu de la musique indé, il y a aussi ton compatriote Maxwell Farrington - du groupe Dewaere et ami du Superhomard - qui a quitté Brisbane pour s'installer à Saint-Brieuc en Bretagne. Le connais-tu ?
C'est une drôle d'histoire. Le Villejuif Underground a joué au festival Villette Sonique à Paris avec lui (NDLR : Le 30 mai 2021), c'est après des années à croiser des gens lors de concerts dans toute la France qui me demandaient souvent, " Tu connais Maxwell ? ". A Marseille, Toulouse, partout. J'ai attendu devant leur salle de musique et j'ai continué à frapper à la porte et à demander " Est-ce que Max est encore là ? ", la cinquième fois que j'ai frappé à la porte, quelqu'un l'a ouverte et m'a directement étreint pendant 5 minutes et a dit " G'DAY MAAAATE ! ". Je l'aime il est le meilleur ! Un chanteur et interprète incroyable, sa présence en France me met plus à l'aise, même s'il est occupé à travailler dans la cuisine en Bretagne. Nous mangions des huîtres et buvions mille cidres à 9h du matin quand j'étais là-bas à Saint-Brieuc la dernière fois, et il m'a vraiment fait aimer Momus (musicien underground légendaire du Royaume-Uni) et nous avons tous les deux réalisé que nous étions venus en France pour les mêmes raisons spirituelles et que nous étions restés pour des raisons métaphysiques.
En France, tu es connu comme le "frontman" du groupe Le Villejuif Underground. Le dernier album du groupe date de 2018. Depuis, tu as composé deux albums solo -dont le petit dernier, A Break Away ! vient de sortir-, deux albums sous l'entité C.I.A Debutante avec Paul Bonnet. Peux-tu nous dire où se situe aujourd’hui l'aventure du Villejuif Underground ? Projets ou pause depuis ton départ de Paris à Marseille, puis l'Ardèche ?
Le groupe fonctionnait encore quand j'ai vécu à Marseille pendant trois ans, donc mes conditions de vie n'ont rien changé. J’ai passé probablement plus de temps dans un train Ouigo qu'à Paris ou Marseille pendant cette période.
La fonction de ce groupe était de pure folie, d'absurdité et de hasard. C'était très chaotique, de haute énergie et de pure folie. Nous avons raté beaucoup d'opportunités, mais cela n'avait pas d'importance, le groupe n'était pas un boulot même si c’était fatigant. Personne dans le groupe n'a vu des choses comme ça, nous n'avions aucune ambition. Pour l'instant le groupe est mort à 100%, ce qui pourrait être une mauvaise nouvelle pour quelques fans, mais ce n'est pas le cas pour moi. J'ai besoin d'être constamment créatif, sinon mon existence me semble complètement inutile ! La vie inspire l'art et inversement. Paul Bonnet (NDLR : de C.I.A. Débutante) est pareil à cet égard, c'est pourquoi C.I.A DEBUTANTE est vraiment mon projet passion et ce dont je suis le plus fier.
Tu es très productif en termes d'écriture et de composition. Tes nombreux disques solos, une multitude de groupes, des collaborations, mais aussi des textes pour des livres, certes à petit tirages. Peux-tu nous parler de cette production littéraire ?
Oui, j'ai moi-même publié plus de 25 livres depuis que j'ai 17 ans. Ils ont tous été imprimés, publiés et vendus lors de concerts depuis le début. J'ai fait des soirées de lancement et des conférences pour presque tous mes livres. Je n'ai pas beaucoup de présence sur Internet ou de preuves pour te le prouver, ni le désir de réimprimer les livres après qu'ils se soient vendus (versions très limitées de 100 exemplaires). Ces jours-ci, je n'écris plus. Je préfère apprendre de nouvelles choses dans la vie, je ne peux plus rester assis et écrire dans ma chambre 10 heures par jour. Je suis fier du tout dernier roman, What Without Character, un roman policier surréaliste sur la génération de l'annulation (cancel culture). Je vais m'arrêter là et vivre ma vie sans penser à écrire des histoires tout le temps, la musique suffit.
Tu n’as jamais caché ton admiration pour Kevin Ayers et Jonathan Richman. Que représentent ces artistes pour toi, sont-ils ceux qui t’on donné envie d'être auteur-compositeur ?
D'un autre côté, tu n’aimes pas qu'on dise que ta voix ressemble à celle de Lou Reed. Sur Artist Of The Month, difficile de ne pas penser au Lou… qui sommeille en toi.
Ouais, je pense que le truc de Lou Reed est juste un peu trop facile ou paresseux pour une comparaison. Il y avait beaucoup d'artistes avec des voix graves et à moitié parlées qui sont venus après lui aussi. Pourquoi pas, David Graney ? Bill Callahan? Lambchop? Silver Jews ? The Magnetic Fields ? Beat Happening ? Iggy Pop ? Léonard Cohen des années 80 ? Je peux penser à beaucoup de choses. J'aimais le Velvet Underground quand j'avais 13 ans, j'ai probablement arrêté de les écouter 3 ans plus tard et je me suis concentré sur Merzbow. Kevin Ayers et Jonathan Richman pour moi inspirent juste un sentiment de liberté et d'être à l'aise avec la vie, et à l'aise avec leurs voix naturelles. Ça m'a toujours semblé très authentique, et pas forcé ou trop influencé pour chanter d'une certaine manière comme, je ne sais pas, Buddy fucking Holly ou putain de Kurt Cobain. Je chante de la même manière que je parle, c'est presque comme si je ne l'avais pas choisi. C'est juste naturel. Je n'essaie pas d'imiter Lou Reed. Je chante juste comme ça, parce que je parle comme ça, parce que j'ai grandi dans le nord tropical du Queensland. Sinon, je suppose que cela signifie que tout le monde dans le nord du Queensland qui parle avec une voix traînante de baryton bas, signifie qu'ils sont aussi inspirés par Lou Reed ???
Ah ! Je ne pense pas, nous sommes tous des bâtards paresseux.
En 2021 tu as sorti l'album Drink Up, Rainforest Sinatra et là tu viens de sortir l'album A Break Away ! Ces deux albums permettent de montrer son côté mélodique, des arrangements et des harmonies plus détaillés, moins bruts, moins rock énergiques qu'avec Le Villejuif Underground. Peux-tu nous raconter comment s'est passée la création de ce nouvel album ?
C'était comme toujours. J'ai toujours écrit des albums de la même manière. J'utilise les mêmes quatre accords depuis deux décennies et trente disques. La seule chose qui change, c'est le production du disque. Je ne vois pas vraiment de différence entre les chansons que j'écrivais et enregistrais quand j'avais 16 ans et maintenant. Le Villejuif est différent parce que ce sont les autres qui composaient la musique. Quand je compose la musique c'est la même vieille merde comme toujours.
Le fait de vivre à la campagne en Ardèche a-t-il joué un rôle dans la manière dont tu composes tes nouvelles chansons ?
Oui, ces deux années en Ardèche m'ont fait réfléchir à des choses auxquelles je n'avais pas eu le temps de penser. Vivre en ville c'est un flot constant d'informations et d'inspirations. A la campagne, c'était la première fois de ma vie que les choses avaient un sens. J'ai ralenti et j'ai eu le temps de réfléchir à certaines choses. La vie est trop longue, si tu veux savoir ce que je pensais vraiment du monde, tu devrais lire mes livres, mais peu l'ont fait, et ils sont tous introuvables. J'ai vu The Shallow End Of Enceladus dans une librairie d'occasion à Paris une fois, mais ce n'était que de la fiction.
©Pascal Chicaud
Peux-tu dire en quelques mots les principaux sujets abordés dans le nouvel album A Break Away ! et en particulier le morceau intitulé Ground Zero ?
Réflexion sur la vie ? Mais pas si profonde… plus profonde qu'une mise à jour de twitter ou Facebook cependant. Ah Ground Zero ? Je ne connais probablement pas le terrorisme et la musique punk ou grandir comme les tours jumelles, comme les jeunes punks qui restent jeunes et agressifs même avec le changement des temps. Reconstruire ? Destruction ? Construction ? J'ai enregistré l'album en mars 2022, il y a déjà trop longtemps. Je ne sais pas... je ne chante pas vraiment quelque chose d'important.
Comme Doctor Jekyll et Mister Hyde, autant tes deux derniers albums solo sont très chiadé côté instrumentation, mélodies composées et jouées avec des instruments, autant le projet C.I.A. Débutante -avec Paul Bonnet- est très expérimental, électro industriel, lo-fi, joué sur ordinateur, sur machines. Peux-tu nous présenter les deux facettes qui composent ta personnalité d'artiste ?
Bon sang du christ, tu poses beaucoup de questions !
Ah ouais, je ne sais pas, la musique de Nathan Roche est très accessible, facile à digérer, mais avec des idées étranges. Je blâme cela sur des avant-rockers comme Brian Eno, John Cale, Pere Ubu, et bien d'autres. C.I.A Debutante est très expérimental, il n'y a pas de limites, pas de restrictions, la liberté pure. Plus que les limites de la musique rock, c'est abstrait cependant, mais pas pour tout le monde. C'est en grande partie le résultat de nos obsessions communes et de la paranoïa en tant qu'art. C'est similaire à mes romans de fiction et c'est incroyable pour moi de voir comment les obsessions actuelles de Paul et moi se glissent ou suintent dans la musique. Notre troisième album sur Siltbreeze (US) est presque terminé ! Nous allons bientôt faire le tour de la Scandinavie !
Sur la pochette de A Break Away ! on te voit marcher dans la rue, la tête pensive. A quoi penses-tu sur cette photo ?
C'est plutôt cool, j'ai l'air déformé ! Comme l'homme éléphant moins 10 kg. Ça me va. Je voulais avoir un autre album de couverture photo classique pour ce nouvel album, c'est comme recommencer les disques solos avec des mauvais disques nés. Je n'avais pas vraiment fait ça depuis Watch It Wharf (2013) mais je devais faire en sorte que ce soit le moins prétentieux possible.
Dans une interview glanée sur le net, tu dis que ta "carrière est une blague ". J'aime ta façon de voir les choses, toi qui as composé une flopée de disques, sous diverses formations. Cette blague te permet-elle de vivre sans faire de boulot alimentaire loin de la musique ? En France, on dit que les blagues les plus courtes sont les meilleures. Et la blague de Nathan Roche ?
J'essaie de plaisanter tout le temps, parce que si vous prenez les choses trop au sérieux, vous n'arriverez jamais à rien. Je n'ai pas de blagues courtes, tu dois me donner quelques pages. Pour la blague de Nathan Roche... attendez jusqu'à ce que je sois mort. De toute façon, l'idée que la musique soit un travail ou une carrière est absurde, c'est une passion, un plaisir et parfois un cauchemar. Mais vous le faites et vous cherchez les récompenses de la satisfaction et une existence continue.
Y aura-t-il une tournée pour jouer tes nouvelles chansons ? Si oui, seras-tu seul sur scène ou accompagné de musiciens ?
Ouais, j'ai dû réserver les concerts moi-même la semaine dernière, je ne sais pas, c'est assez ennuyeux pour être honnête. De toute façon, le groupe est à peu près tout de Music On Hold (Born Bad Records) avec notre amie Milia à la batterie, elle joue dans une centaine de groupes. Parfois il y a Guillaume Marietta, parfois un type qui s'appelle Lully que j'ai rencontré il y a trois jours alors qu'il jouait avec nous à Lyon. Je ne connais personne qui peut jouer dans le groupe Nathan Roche. Même si vous ne pouvez pas jouer, jouez, c'est la même politique de porte ouverte que Maher Shalal Hash Baz
S'il y a un message à faire passer à nos lecteurs, c'est bien ici !
Continuez à écouter, regarder, lire, expérimenter sans fermer l'esprit sur quoi que ce soit et laissez l'art inspirer ou motiver votre existence, comme il l'a fait pour moi et vous pourrez mourir demain avec le sourire aux lèvres. La création est éternelle, n'oubliez pas de mettre des roses sur ma tombe.
Paskal Larsen
©Pascal Chicaud
A Break Away ! (Born Bad Records/L’Autre Distribution) - 18 novembre 2022
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